Prenant la route qui mène à mes rêves d'enfant sur des îles lointaines où rien n'est important, que de vivre.
Un aller retour pour Paris. Enfin quasiment. L'impression de renaitre de ses cendres. Tout retrouver très vite: les habitudes, la vitesse de marche, le slalom, Diane.
Quand je vois son bonnet de loin, j'ai l'impression que rien n'a changé, que j'habite encore ici, que je vais simplement aller poser mes affaires et rester là pour toujours. Ne surtout pas penser pas au temps à économiser parce que ça ne servirait qu'à le laisser filer.
Savoir à nouveau pourquoi c'est elle et pas quelqu'un d'autre, ressentir à nouveau, réapprendre à nouveau. Tout évolue mais au fond rien ne change.
Quand je rentre en train, j'ai "crachons veux-tu bien" en tête sans l'avoir écouté depuis des semaines. Je revois Diane la chanter sur son lit, avant d'aller se coucher. Je la revois perdue dans ses pensées tandis que je me brosse les dents, hypnotisé par ces paroles qu'elle chante machinalement. Je l'écouterai une fois pendant le trajet puis je ne pourrai simplement plus, sentant mes yeux se rougir.
En me couchant je l'ai encore en tête.
En me levant je l'ai encore en tête.
Je regarde l'oreiller à coté de moi dans la nuit puis, fatigué et triste, je reste là, une, deux, cinq ou dix minutes dans le noir, naviguant entre Diane et le peu de motivation que j'ai pour aller travailler.
Finalement la routine, le froid, le train, le froid, le magasin.
Je mange maintenant toujours avec les filles qui bossent avec moi. Au début on est toujours un peu réticent pour différentes raisons:
- Déjà on est souvent très fatigué par le travail, on ressent donc une sorte de besoin vital de se détendre. Etaler ses jambes, faire craquer ses doigts, fumer, respirer.
- Et abandonner la pression continuelle, être au calme, debrancher totalement, manger avec respect.
Finalement on mange ensemble, on se tape dans la main et on va payer l'addition en rigolant.
Ce midi, au détour de petits bouts de conversations futiles, cette fille se met à me parler de voyance. Je l'écoute avec grande attention, toujours autant fasciné par ces histoires.
Et puis d'un coup je me demande pourquoi je n'y vais pas. Je pretexte toujours la peur d'en savoir trop sur son avenir (et d'agir en fonction de ces informations) mais c'est de la peur tout court au fond.
Je sais pas, j'ai toujours eu des idées etranges sur mon futur. Vers 14/15 ans il m'était impossible de m'imaginer adulte alors que d'autres avaient déjà tracé au marqueur rouge un plan à suivre, aujourd'hui je suis persuadé que je vais mourir d'une crise cardiaque assez rapidement. Je me suis toujours demandé si mes enfants n'auraient pas de problème, physiques ou mentaux, si ma femme allait mourir d'un cancer, si je serais un père loyal et respectable.
Pourquoi n'y vais-je pas alors? Sur le moment ça me parait vraiment ridicule et je prends même l'adresse en me promettant d'y aller. Maintenant je sais que je ne le ferai pas. L'enfance, ne pas découvrir comment le magicien fait son tour, ne pas aller derrière le rideau, ne pas rencontrer ses idoles. Autant de raisons qui me poussent à ne pas franchir le pas.
Enfin vous avez vu? On parle voyance au repas et ce qui va avec ce genre de sujets, c'est les confessions sur le passé et tout ça. Ouais parce que là, je peux commencer à ecrire un livre sur ces nanas. Je ne sais pas, j'ai l'impression d'être leur blog, elles me racontent tout, tout le temps. Des problèmes futiles aux plus graves, des joies éphémères aux détails amoureux, j'ai l'impression d'être Gérard dans les filles d'à coté.
Et je les laisse, je rigole quand il faut rigoler, j'écoute avec attention quand l'histoire devient sérieuse, j'essaie d'être réconfortant quand c'est triste, je leur remonte le moral quand leurs copains sont pas gentils. Gérard quoi.
A coté elles ne savent quasiment rien de moi, elles ne savent pas ce que j'aime, ce que je déteste, elles ne savent pas ce que j'écoute ni ce dont je rêve. Bizarrement j'ai aucune envie de leur parler de ceci, pas pour le moment en tout cas. On arrive à garder une certaine distance grâce à mon mutisme et ça me parait plus raisonnable pour le moment que de s'emballer et de feindre une grande amitié.
C'est pas "être un batard", c'est juste du respect au fond.
C'est comme quitter la fac, un camping, un travail avec des numéros pleins les poches, promettant - avec une poignée de mains sincère - qu'ils serviront vraiment cette fois (on peut ajouter le "cette fois" pour appuyer le fait que là on y croit trop et que c'est pas comme les autres fois) mais au fond on perd un peu volontairement ces bouts de papier. Là on est un batard.
Il ne faut jamais faire confiance à quelqu'un qui cherche l'addition à tâtons. Celui qui veut l'addition la trouve. Dans la vie, quand on veut vraiment l'addition, on s'arrange pour la trouver.
!!! - A New Name
Devo - Big Mess
Charles Aznavour - Emmenez-Moi