21.2.07

And I'm sitting here with this blank expression


Aujourd'hui le beau temps était au rendez-vous.
Ah ouais non c'est nul comme première phrase.
Aujourd'hui la douce chaleur du soleil me caressait la peau.
Non non.

Ajourd'hui, soleil et quand mon patron me dit "Brice, allez à la poste pour poster ça et passer à la banque déposer les versements" je le fais avec le sourire.
Je ressens vraiment la puissance de l'arrivée du soleil quand je mets les pieds dehors. Le contraste avec les fades lumières jaunes/oranges du magasin y contribue sûrement.
Bon d'abord la banque, je me la raconte un peu à ces moments. Vous voyez je vais à la caisse commerçant, je balance "bonjour monsieur" avec un air d'on-est-potes-depuis-des-années au mec du guichet. Je le regarde tout faire, tout tamponner, tout agrafer, déchirer, couper avec une précision et une habilité impressionante. Ses yeux inexpressifs se balladent çà et là sur son bureau pendant qu'il fait tout ça et inconsciemment, je prie pour qu'il se prenne le doigt dans l'agrafeuse.

En sortant, je ressens à nouveau cette puissance du soleil. Une seconde j'ai envie de rerentrer dans la banque pour reressentir cette puissance mais je ne le ferai pas pour des raisons évidentes (avoir l'air d'un fou).

J'arrive à la poste. Plein de monde qui fait la queue, je soupire mentalement. Deux guichets, deux personnes, un mec qui drague la personne dont il s'occupe comme un gros lourd et une fille pas mal. Je la regarde un peu, vieux réflexe que j'ai encore sans m'en rendre compte. Elle doit avoir 23/24 ans, les cheveux bouclés, marocaine peut-être, trop maquillée mais mignonne quoi. Le temps que je m'égare sur les stores, j'entends une voix etrange qui fait:

* L'accent alsacien est ici très bien interprété par la répétition de quelques voyelles, les amateurs apprécieront *

"Ouiiii c'est Odiiiiiile qui a laissé les caaaaartons, j'ai faaailli taper dedans avant! Hinhinihiniihihihihiahahahhahaihihiihihi"

Perplexe, je me demande qui ça peut être. Pas cette fille quand même. Pas celle qui a la vingtaine et qui a ces cheveux bouclés. Ma tête se tourne, doucement, gros violons stridents, pupilles dilatées, goutte de transpiration sur le front. Je vois des dents, quelqu'un qui rigole, la fille qui rigole. Je suis scotché.
Je la vois mais ne la regarde pas. Je l'entends mais ne l'écoute pas. Je me demande comment on peut paraitre si jeune et "sophistiquée", féminine tout du moins et avoir l'air aussi vieille en même temps. Est-ce que cette fille a grandit dans cet environnement, est-ce qu'elle voulait vraiment parler comme ça, être comme ça? Est-ce qu'à l'école, quand ses camarades voulaient être rappeur, footballeur pro, pompier, policier, acteur porno elle disait:

Moi plus tard j'veux travailler à la poste pour dire des trucs de vieux avant d'avoir l'âge.

Je me demande sincèrement si la fonction publique lobotomise directement les personnes qui y travaillent. Si ça se trouve, cette fille avant sortait en boite, avait pleins d'amis de son âge hyper bien, buvait des cafés le soir, allait sur myspace, rencontrait des gens d'internet. Le matin elle dansait en s'habillant, des petits coups de bassin de temps en temps, elle fredonnait I just wanna love U et passait sa petite culotte en se tortillant un peu.
En arrivant au travail elle saluait tout le monde en se demandant ce qu'elle foutait là, elle s'asseillait sur sa chaise pourrie et se moquait intérieurement des personnes qui venaient à son guichet.
Désormais elle se lève, gratte son chat, écoute Hervé Vilard, mets sa culotte gros paquebot couleur chair et redresse son paillasson tragiquement affublé d'un "Home sweet home".
En arrivant au travail elle rigole avec les autres employés de blagues basées sur la météo ou le film de la veille sur RTL 9 et elle sourie tendrement quand une petite vieille gueule parce que la photocopieuse n'a plus de papier.

Bon, tout ça pour dire que vous voyez, je fais des trucs importants maintenant, je vais à la banque, je pose des belles sommes d'argent, ils ont confiance quoi.
Le problème c'est que moi je n'ai plus confiance. Plus vraiment confiance en moi dans ce boulot, plus vraiment confiance en eux, plus vraiment confiance en mes COLLEGUES. Je me pose trop de questions: si je dis ça, la cliente pense quoi? Si je range sa paire tout de suite c'est ok ou pas? Avant c'était pas comme ça, je m'amusais en one man show, ça plaisait, je vendais, point final.

Je suis un peu en mode un pour un et un pour un. La vente c'est vraiment pas mon truc au fond, enfin vendre ce que je n'aime pas relève vraiment du défi mental. Au début je faisais semblant, je me voilais la face, je misais tout sur l'apprentissage mais là je me rends bien que mon naturel reprend le dessus et que mon regard dur me trahit.
Alors c'est la remise en question logique. Je songe sérieusement à reprendre les études mais il y a un problème conséquent: pour quoi faire? Pas de fac, c'est certain, ça me mènera nulle part et puis j'y ai toujours detesté l'ambiance. Un IUT, un BTS, ouais je sais pas. L'école de photo c'était un vrai conte en fait: je faisais un truc que j'aime vraiment, j'étais sur Paris, tout seul, je faisais des soirées, je rencontrais sans cesse des personnes et surtout, j'étais tout le temps avec diane. Là je suis chez le mec de ma mère, je fais un boulot que je n'aime pas et surtout, je suis sans diane.

En rentrant en train, je regarde les lumières défiler, je me demande sans cesse ce que je vais pouvoir faire. J'ai l'impression d'être dans une impasse transparente mais sans rien au bout. Je ne suis pas vraiment bloqué parce que j'ai un tas de solutions qui s'offrent à moi mais sans pouvoir les atteindre. Je me mords la queue sans cesse et mon optimisme qui m'a permis plus d'une fois de sortir la tête de l'eau à Paris me fait ici cruellement défaut. Je m'en veux à moi-même parfois de tout ça parce que je sais qu'au fond j'ai quelque chose qui ne demande qu'à grandir mais je n'arrive pas à le dessiner.

And I'm sitting here, with this blank expression.

Stop die Resusciate - Bad Night (Tacteel remix)

PUZIQUe - Chemie


13.2.07

1 € 99



Ma journée avait plutôt mal commencé.

Enfin toujours ce réveil pateux, dans le noir, des bruits de pas qui font craquer le parquet, l'impression d'être déjà pressé par ces tentatives de discretion. Des pas hésitants en se grattant la tête et en se craquant le dos. Le train à la dernière minute et quasi aucune place, sauf celles en solitaire que tout le monde évite, comme si personne ne voulait exposer sa solitude.
Cette impression dérangeante de ne pas trouver l'album qui convient parfaitement à la situation. Je ne sais pas si vous voyez de quoi je veux parler mais je pense qu'à certains moments où on fait tourner les morceaux, on ne se sent pas rempli (évitons les blagues grasses basées sur des trucs gay). Comme lorsqu'on a faim sans savoir de quoi exactement. On sent que c'est pas ce truc qu'il faut mettre, que ce morceau de techno est trop kleenex, que ce morceau de folk est trop introspectif, que ce truc yiddish est trop triste, que ce morceau de rap est trop gueulard. Vous voyez ça colle pas et ça nous laisse un vide.
D'habitude je trouve quelque chose qui va et j'oublie cette sensation, sauf que là, je fais tourner la molette et rien, rien ne va. Je passe pourtant par les classiques, Futuresex/Lovesounds ou Bad, ce genre de choses, mais rien.
J'arrive donc avec une drôle de sensation dans mon corps, comme si quelque chose grattait un peu partout.
Mes yeux et mes baillements incessants m'empêchent de confirmer mon "oui" à cette question désormais habituelle: "la forme?". Je circule entre les piles de chaussures en les touchant du bout du doigt, je ne paye pas l'addition. Il n'est que 10h et j'ai l'impression d'être là depuis des heures. Je reste toujours poli avec les clients mais le coeur n'y est pas vraiment.

En tournant en rond, je vois deux asiatiques au fond du magasin qui me font signe. Je vais les voir avec un petit sourire (classique) et je me baisse pour leur donner la paire que l'une d'elles souhaite essayer. En me relevant, mes sens se réveillent. C'est quoi cette odeur? Un parfum très fruité et très doux en même temps. Je ne comprends pas ce qui m'arrive, je reste là, les yeux dans le vague pendant une ou deux secondes, une ou deux minutes. Mes jambes tremblent, un brouillard se forme devant moi, je danse le moonwalk sur les mains et je me revois à 13/14 ans.

Je me revois prendre mes Majestic Twelve blanc, le short Time Zone beige, partir à la rampe à fond avec le paquet de 10 de News (acheté 10 balles et caché au dessus de l'armoire) au fond de la poche. Je me revois assis à la Musique, regardant avec un sourire en coin mon frère devant le Nautiland qui se fout de la gueule des mecs en slip de bains. Je revois le soleil, je revois l'innocence, je revois Xavier, je revois Alex, je revois Bertrand, je revois les filles, je revois le collège, je revois ce lycée qui me paraissait inaccessible, je revois le panier de basket miniature collé à la porte et arraché de la porte à force de dunks, je revois mes parents ensemble, je reverrai presque mon père avec des cheveux.

Quand je me relève j'ai un peu le tournis et mes yeux pétillent. Il est 12h, c'est la pause, j'écoute un truc de funk calme, je marche doucement, je fume une cigarette, il fait beau. Tout semble reprendre vie, tout semble me redonner la puissance qui m'avait fait tant défaut ce matin, même ceux qui t'harcèlent pour signer leur pétition ne me voient pas.
Je vais à la fnac sans savoir pourquoi, je regarde les télés, les enceintes de chaines, des trucs sans queue ni tête. Je marche seulement. Les cds, les dvds, tiens des réductions. Tiens, un DVD de Snoop à 1 € 99. Je souris et le prends en y voyant une certaine symbolique sur la continuité de cet instant un peu enivrant.

Je n'ai pas encore été payé mais je m'en fous, il recommence à pleuvoir mais je m'en fous, mon boulot me saôule mais je m'en fous, il est l'heure mais je m'en fous: je retourne bosser avec le sourire.

Mary J Blige Ft Clipse - Steal Away
Rene & Angela - I'll Be Good

2.2.07

BO LO CAISSE ELLE MORCHE PO?



Etre animateur c'est vraiment le meilleur boulot pour être détesté je pense.
Enfin, pas l'animateur du club med, des alexandri alexandra ou des put your hands up in the air, un animateur de magasins. Pour résumer, c'est une personne qui tient pleins de magasins de la même enseigne et qui s'occupent de leurs changements, de leur mise en place, qui regardent les chiffres et qui donnent des ordres aux responsables. En gros, il ne connait pas les fonctionnements internes et dit souvent de la merde.

On a eu la visite du notre toute la semaine.
Franchement je partais genre sympa, j'avais tout entendu sur lui et je m'attendais à un mec un peu con mais avec un bon fond. J'avais tort sur les deux points, il n'a pas un bon fond et c'est un MEGA GROS con.
Je le vois, lunettes pourries genre branches de merde on fait plus ça depuis 5 ans dans le plus petit village des Vosges, gilet noir horrible, cheveux gris pleins de gel, chaussures baskets noires de ville type Zara raté. L'ensemble parfait du vieux pourri de 50 ans qui essaie de rester à la mode et qui s'accroche à des collections etranges vous voyez.
Le problème, c'est qu'au moment où je lui serre la main, je l'imagine direct en short en jean sur la plage. Vous savez avec le paquet de cigarettes et le peigne coincés dans la ceinture. C'est venu d'un coup, j'ai rien vu venir. Le tableau collait absolument bien, c'est tout à fait le type de mec à être comme ça. A rentrer le ventre et à plonger genre star avec un slip de bains d'où la ficelle sort par en dessous. A faire un foot avec des petits, à perdre et à les tacler les deux pieds en avant. A danser tout seul à un mariage en faisant des clins d'oeils et à mettre des mains au cul des filles de 16 ans.

Un vieux pourri.

Il part déjà avec un handicap certain, c'est son accent et ses intonations. Il pourrait dire n'importe quoi, on le prendrait toujours pour un con. Accent du nord multiplié par 1000, bouche grande ouverte, un gueulard. Les a deviennent des o, les o deviennent des o encore plus ronds.
Bref, une phrase anodine comme:

"Bah la caisse elle marche pas?"

Devient:

"BO LO CAISSE ELLE MORCHE PO?"

C'est très difficile de se concentrer en face de quelqu'un comme ça, on se demande s'il pense que s'est nous qui avons un accent et pas lui (j'ai entendu ça d'un gars du sud une fois, ça m'a paru bizarre mais quelque peu cohérent quand même) s'il sait que c'est dégueulasse comme du chou-fleur (poésie).

Calcul:

. Accent relou + vieux gros lourd mysogine qui te parle comme à un chien toute la journée = haine évidente.

Au début c'était des petits ordres comme j'en reçois tout le temps, du type "lave les vitres" ou "passe le balai" donc rien d'affolant, mais tout ça s'est très vite transformé en sadisme total. J'ai lavé la même vitre 4 fois de suite (4 mètres sur 3) parce que les produits n'étaient pas les bons selon lui, parce qu'il restait une tâche de merde sur le rebord tout en haut dans un angle contre le plafond, pour voir comment je le prenais, parce que ça l'amusait. Je vous avoue qu'à la quatrième fois, j'avais l'escabeau en main et pendant une seconde, j'ai senti ma main se contracter dessus avec une furieuse envie de lui jeter en pleine gueule.
Mais je me suis retenu.

Enfin bref, pendant 3/4 jours ça a été ça tout le temps et la veille de son départ, mon patron lui dit "il faudra faxer le siège pour le contrat de Brice". Je suis assez éloigné dans le magasin mais j'arrive à entendre parce que la musique n'est pas forte et qu'il n'y a pas trop de monde à ce moment. L'animateur fait un non de la tête, mon sang ne fait qu'un tour, mon patron lui dit qu'il veut me garder, il lui répond que non, qu'il faut me tèj et engager quelqu'un d'autre.
Je ne suis pas sensé entendre tout ça mais quand ce fils de pute d'animateur relève la tête, je le fixe GENRE VENERE VOUS VOYEZ et il baisse direct les yeux (j'en impose quoi tavu).
Mon patron me touche beaucoup à ce moment précis parce qu'il me défend coûte que coûte, il dit que je fais du bon boulot, que j'ai pas été formé comme tout le monde vu que je suis arrivé en période de liquidation mais que je suis un bon élément et qu'il tient à me garder, que notre équipe s'entend enfin bien etc.

Il faut dire que j'ai passé un cap dans ma vie, un vrai truc, une étape vous voyez.

J'ai mangé avec mes patrons.

Il était midi, ils disent "allez on va tous manger ensemble" genre bizarrement enthousiaste. Je commence à me sentir mal à l'aise et cherche du regard une fille qui voudrait aller manger sans eux, mais en vain. Je ne sais pas pourquoi j'essaie de fuir à ce genre de choses. C'est comme entendre son père parler de sexe, une répulsion que je ne contrôle pas.
Tout le monde sourie, tout le monde y va. Je suis pris au piège mais je mène la marche en racontant quelques conneries.
On arrive au restaurant, un truc ambiance "trentenaire qui mange des tartines" avec Fade To grey en musique de fond. Je me place entre deux "collègues" (je ne me ferai jamais à ce mot) avec qui je m'entends bien. A l'aise dans le rôle du mec qui taquine gentiment les filles, je parle sans hésiter, sans me demander si ça va passer ou pas. Je suis avec des potes, un repas quelconque à midi, je fume une cigarette en savourant de l'eau (plaisir simple), je rigole aves les serveurs. Mes pics deviennent de plus en plus ... piquants et je suis très étonné de voir que personne ne s'est encore véxé. Leurs mecs, leurs echecs, leurs manies, tout y passe mais aucun problème, elles rigolent et pour une fois, je prends un réel plaisir à dominer la conversation.

Mes patrons sont très cools, il faut dire qu'ils ont 25 ans chacun, qu'ils vivent ensemble, qu'ils tiennent un magasin depuis 5 ans donc ils connaissent leur métier et ne sont pas super stressés. On parle de séries, Desperate Housewives, Six Feet Under, lui avoue sa passion pour L world, elle le taquine sur un plan à 3, j'ai l'impression de rêver. On mange bien, calmement et je suis plein de respect à ce moment-là, je les trouve vraiment touchants, honnêtes. Je regarde les filles avec qui je bosse et je me dis que bon, on peut rêver pire équipe et malgré les trucs assez nazes que je vends, je me mets à vouloir vraiment rester dans ce travail, aussi bizarre que ça puisse paraitre.

Bref, hier se jouait ma place. L'animateur était encore là et je devais faire mes preuves devant lui. J'arrive au taquet, Fistrogram de Kim avant d'entrer, j'ai l'impression d'aller à la guerre mais en chemise Ralph Lauren. Mon père me disait qu'un homme qui ne te regarde pas dans les yeux en te serrant la main est un faible, qu'il a quelque chose à se reprocher.
Je repense tout de suite à ça quand je tiens la sienne et qu'il regarde autre part, je souris du coin de la bouche, me sentant en supérioté. Comme avant les matchs de foot que je faisais plus petit, que je fixais les mecs qui me marquaient avant le match et qu'ils évitaient mon regard, je savais que j'allais les ballader tout le long. Ca marchait et ce jour-là, ça a également fonctionné.
Je défonce le chiffre d'affaires, je vais vers tous les clients, je souris à tout le monde, je vends des trucs invendables, je sers les meufs les plus reloues, ses ordres sont fait en deux minutes à la perfection, il n'a rien à dire. Il m'a sûrement observé toute la journée mais s'est rentré lui-même la bite dans le cul, ne pouvant la planter chez personne.
Le soir, je lui sers la main avec un regard plein de haine et d'arrogance, il me tend mon contrat, j'ai gagné, je lui dis au revoir sans un sourire, sans rien. Juste "merci" pour le contrat, je frotte mes mains et je l'oublie. J'ai gagné.

Kim - Fistogram
Serge Gainsbourg - I'm The Boy