Des cheveux comme des Churros
Ok bon j'ai un travail.
En théorie je devrais sauter au plafond je sais pas, faire quelque chose qui montrerait mon enthousiasme au moins, mais rien.
Rien quand on m'appelle pour un entretien.
Rien quand je passe l'entretien et qu'on me dit "bon on va sûrement vous prendre".
Rien quand on me rappelle le lendemain pour me confirmer ces dires.
J'ai été assez surpris d'ailleurs. J'étais malade le jour de l'entretien et j'avais peu dormi. Le mec me balançait pleins d'infos sur les heures, ce que je devrai faire, ce qu'il veut pour le magasin, comment il faut s'habiller et je me contentais de le regarder, les yeux dans le vide, en pensant à autre chose.
Pourquoi? Je sais pas, ça ne me ressemble pas tellement d'être aussi pourri à un entretien. En théorie je raconte n'importe quoi (comme sur mon CV d'ailleurs) et j'essaie de me vendre au maximum. Là, rien, juste des mots qui survolent la pièce.
Alors voilà, vendeur. Vendeur. Je vais vendre des trucs. Ca me dépasse totalement.
Il y a quelques années, je bannissais tous ces trucs de vente, de commerce. Le mode "sourire declenché-j'peux vous renseigner?-sourire-replier tout ce que les clients deplient-sourire", c'était vraiment le piège à cons pour moi et me voilà dedans.
Quand on me dit qu'on doit s'habiller assez classe pour le magasin, mon sang ne fait qu'un tour et je me vois déjà avec de nouvelles tenues. La magie de noël c'est ça, on a tout d'un coup. Avant on détestait recevoir des fringues pour noël hein? Quelle honte auprès des potes.
- T'as eu quoi toi?
- Un vélo et une mégadrive, et toi?
- Des pulls.
MEGA HONTE QUOI. Autant dire "des slips", ça revenait au même.
Aujourd'hui je suis plus qu'heureux lorsque ma mère me dit "bon va t'acheter ce que tu veux pour le boulot". Polo Lacoste, pull Burberry, chemise Ralph Lauren, Court Force.
Quelle bonheur d'aller à la caisse sans remords, sans se ronger les ongles en pensant aux conséquences des achats compulsifs.
Tout semble très fluide depuis. Les soucis d'argent s'envolent, les soirées s'enchainent, à chaque fois plus violente, les bras sont toujours plus haut quand passe Walking Away dans ce nouveau bar.
Ah oui tiens, le nouveau bar.
Haguenau, 40 000 habitants, toute ma vie. Ville endormie, enfermée dans quelques bars caractéristiques:
- Celui où il faut écouter du reggae, avoir des dreads, voir jusqu'à dégueuler tes intestins une bière qui sent la pisse.
- Celui où il faut une chemise blanche ouverte jusqu'aux oilpés pour rentrer. Cacahuètes sur la table et blondes fades.
- Celui où les cas sociaux se donnent rendez-vous, généralement appellé PMU ou "bar de merde" par la majorité.
- Celui qui fait un peu boite allez, où les 35/40 ans se donnent rendez-vous fidèlement pour défoncer la piste sur ce bon vieux Sardou.
- Celui qui est super dégueulasse, où on peut boire et danser sans problème, où on demande au DJ les Beastie Boys et Booba et qui accepte sans rechigner.
Justement, ce dernier a fermé. C'était pas vraiment notre truc de référence mais quand on voulait faire les cons, on y allait, ça coulait de source.
A son rachat, les rumeurs vont bon train: PARAIT QUE C'EST UN BAR DE PEDES! PARAIT QU'ILS ONT INSTALLE UNE SONO DINGUE! PARAIT QUE Y'A UN MEC DEGUISE EN ELEPHANT QUI MANGE AVEC SON SEXE.
Ce genre de choses en somme et quand on arrive devant, nos yeux s'ecarquillent, le coeur bat plus vite.
Un nouveau videur, le sas, on rentre. Le velours rouge a remplacé les tâches de vomi, les dessins accrochés aux murs ont remplacé cette vieille fresque immonde et les tâches de vomi, les tabourets rembourés ont remplacé les pourris du bar et les tâches de vomi, l'étage et sa moquette moelleuse ont remplacé les canapés en zebre et les tâches de vomi. Je suis comme un ado qui regarde son premier porno, je redécouvre tout avec une certaine passion. Le "DJ" (casquette orange pliée, bouc, t-shirt vintage, jean délavé, asics défoncées) passe Girls Just Want To Have Fun et je me sens bien.
Les complications apparaissent plus tard quand on se rend compte que c'est vraiment un bar de gay et que ces tableaux aux murs représentent des corps nus d'homme en train de d'enlancer. Hmhm. La musique devient énervante au possible, je reviens 6 ans en arrière quand je découvrais avec effroi la musique des boites discount.
Je dis pas, je suis super ok pour Ibiza et tout ce truc Satisfaction mains en l'air, mais ça allait trop loin. Ce soir-là également, les frontières explosent. Personne ne danse mais le DJ s'acharne à passer ses compilations Thunderdome.
Le rythme de nos coeurs s'accélère quand Cascada, Diddy ou Furtado pointent le bout de leurs nez, mais ces moments d'intensité ne seront que trop court. L'alcool est partout, bière whisky vodka baileys... Tout s'enchaine et des tournées générales nous redonnent le sourire. Une danseuse agite son gagne pain sur le bar et on est hypnotisé. Alcool, musique, petites fesses. J'ai l'impression d'être le pire des beaufs mais mon regard divague plus qu'autre chose. Mille pensées s'entrechoquent. Je prie pour entendre n'importe quoi de Prydz. Le remix de California Dreamin', un verre dans chaque main, sentir qu'on ne peut plus se concentrer, 5h du matin.
Les jambes coupées, une dernière cigarette dehors fait office d'au revoir. La nuit est gelée mais la bouillote au fond de mon lit me fera dormir avec le sourire.
Jenny Wilson - Bitter? No, I Just Love to Complain
Casco - Cybernetic Love